In-N-Out Burger

[dans les rues de Skid Row]

Armand avait laissé Amaël se morfondre dans son coin alors qu'il lui parlait du fait qu'il n'avait pas voulu le mordre, patati et patata. N'allez pas croire que le jeune homme s'en fichait totalement mais il n'aimait pas les gens qui sortaient de grand discours héroïque tout en se flagelant de tous les maux. Aussi roula-t-il des yeux et continua-t-il de marcher, le ventre de plus en plus... Vide. Il avait déjà faim.

Lorsqu'ils arrivèrent au In-N-Out Burger, Armand aurait été capable de manger tout leur stock. D'ailleurs, ce qu'il commanda était assez conséquent, surtout en comparaison avec sa carrure. Il se retrouva ainsi avec quatre hamburgers, beaucoup de frites et un énorme gobelet rempli de limonade. Il commanda aussi pour Amaël, sans même chercher à savoir si le vampire avait envie de manger ce genre de choses. Au pire, il mangerait sa commande à sa place. Eh oui, Armand ne perdait pas le Nord.

Il alla ensuite s'installer à une des tables et commença à attaquer avec appêtit son premier hamburger. Tout en mangeant, il réfléchissait. Et lorsqu'il eut fini de réfléchir (mais pas de manger), il posa cette question à Amaël, avec un regard inquisiteur.

"Dis moi, tu aimes avoir tous les malheurs du monde sur tes épaules ? Tu sais, te dire que tout est ta faute si une grand mère s'est fait écraser dans ta rue et même si tu n'étais pas présent au moment du drame..."

Il croqua une frite, sans quitter du regard le vampire. Armand semblait en plein interrogatoire d'un homme suspecté de meurtres et de choses peut-être plus horribles encore. Il haussa un sourcil, mangeant une autre frite, attendant la réponse avec une impatience visible.

Amaël suivit donc Armand sagement, il l'observa commander et sourit intérieurement de l'appétit d'ogre du jeune homme à l'allure de plume. Mais qu'Armand commande même pour lui le surprit. L'écossais rangea sa pipe (très courtois), il s'installa en face d'Armand mais subtilement à l'écart, la chaise positionnée en diagonale, le coude sur la table mais le corps tourné vers l'extérieur, comme prêt à quitter sa chaise à chaque instant. Sa posture elle, n'était pas détendue contrairement à ce que la position de sa chaise pouvait laisser croire, l'espace aménagé n'était pas occupé. Le vampire aux cheveux bleus était assis de telle manière qu'il était prêt à bondir à la moindre alerte, son coude sur la table pouvant lui servir de propulseur.
Mais étrangement, si son corps et sa posture semblaient tout entiers sur le qui-vive, il trahissait une légère inattention, regardant toujours le ciel, les clients autour de lui. Inactif, il observait énormément, ses yeux indigo si étroits et sombres étaient toujours en mouvement. Ils s'arrêtaient sur des jeunes filles aux yeux clairs et aux cheveux roux, mais son visage ne reflétait rien.

Des fois il piochait une frite qu'il cassait en deux avec l'index et l'annulaire sur le majeur.

Quand la question d'Armand tomba, il tourna immédiatement la tête vers lui, ce qui montra que malgré son observation il avait toujours une grande attention aux changements de son environnement. Il sembla dévisager Armand et son attitude inquisitrice, semblant l'accuser des pires choses. Il refusa de répondre, observant le jeune garçon, il dit juste très calmement "pourquoi me posez-vous cette question ?"

Armand n'apprécia pas qu'Amaël lui réponde par une question. Non mais franchement, n'était ce pas le comble de l'impolitesse ? Lorsqu'on vous pose une question, la moindre des choses est d'y répondre, pas de chercher à noyer le poisson - comment, on l'ignore, un poisson peut-il se noyer ? - alors que votre interlocuteur attend avec impatience de savoir ce que vous allez dire. Non mais vraiment... !

En clair, s'il est possible d'être plus clair, Armand s'énerva. Cet énervement fut tout d'abord visible à son regard exaspéré mais aussi au rouge qui gagnait ses joues, signe d'une explosion imminente. Il en laissa même retomber son hamburger dans la boite en carton qui le contenait. S'il s'arrêtait même de manger, c'était mauvais signe.

"Comment ça "pourquoi me posez vous cette question" ?" répéta-t-il comme s'il n'avait pas compris, alors qu'il avait très bien compris, au contraire. "Je pose la question si j'ai envie de poser la question. Pourquoi je ne pourrais pas poser cette question si j'en ai envie ? Et pourquoi tu poses une question aussi idiote ? Tu n'as pas envie de répondre ? Il faut que je te force à répondre ? C'est parce que tu sais que je peux pas t'en coller une si tu refuses de répondre que tu me réponds par une question ? Et tu crois que je vais répondre à ta question et oublier la mienne ? C'est pour cela que je déteste les gens, ils demandent toujours "pourquoi" quand on leur demande un truc."

Armand n'était pas un psychopathe. Par contre, il avait tendance à s'emporter, ce qui n'était pas spécialement une nouvelle. Se croyant sans doute à l'époque du farwest, il sortit son arme et la pointa vers Amaël. Ce n'était pas un colt mais ça revenait au même, non ? En tout cas, la plupart des clients furent d'accord avec cette conclusion et on n'entendait plus un seul bruit dans le fast food. Certains se préparaient déjà à se planquer sous les tables, juste au cas où.

"Bon, et tu réponds à ma question maintenant ou je vais devoir vérifier si tu as la tête aussi dure qu'il n'y paraît ?" grogna Armand, prenant sans doute trop au sérieux la chose.

Une bagarre de bar ? Oui ? Non ? Oui ? Non ? Non hein, une fusillade par contre, peut-être.

Amaël fit des yeux ronds comme des soucoupes au moment où Armand le pointa avec son pistolet. Ah, au moins Armand pouvait se vanter de tirer une réaction franche de la part de sa cible.
Le chasseur baissa les yeux sur le canon du pistolet. Bien qu'ayant fait des yeux ronds de surprise, il n'était pas plus inquiet que s'il avait été en face d'une langue-de-belle-mère en pleine fête foraine. La seule différence notable c'est que une fois déroulé ce truc, vous êtes mort ou pas loin de l'être.
En fait ce qui devait le plus inquiéter Amaël c'était la trouille ambiante des clients dans un silence aussi ambiant. Aussi conscient d'avoir les yeux de la clientèle sur lui et le jeune homme, Amaël leva une main pour la poser sur le canon en signe de baisser ce truc.
"Je refuse d'en parler en public," dit-il.
Le silence était si complet que sa voix fusa à travers l'espace client comme les balles d'un Uzi. Autant dire que tout le monde l'entendit aussi distinctement que si... Que si heu... Que si un 15 tonnes avait klaxonné en déboulant à toute blinde.

Armand fixa Amaël avec les sourcils arqués de mécontentement. A croire que l'expression selon laquelle "plus on est petit, plus on est teigneux", était vraie. Finalement, le soldat miniature baissa son arme et la rangea dans son holster, caché sous son manteau, et se remit à manger comme si de rien n'était. Ce qui était peut être plus inquiétant que de le voir brandir une arme en public pour menacer un vampire qui aurait pu lui dévisser la tête entre deux doigts, le pouce et l'index, par exemple.

"T'es chiant comme la pluie," finit-il par dire entre deux bouchées, sans préciser pourquoi il disait exactement ça. Etait-ce parce qu'Amaël ne voulait pas répondre à sa question "en public" ? Ou bien parce qu'il l'avait empêché de se prendre pour un cowboy ? Ou bien parce que le vampire était rigide depuis leur première rencontre ?

Les frites furent ingurgitées une à une. Il était plus difficile d'ingurgiter les hamburger un à un, mais c'était presque le cas.

"Ce type qui s'appelle Locutus... C'est son vrai nom ou pas ? On pourrait savoir où il habite en allant à la mairie, mais il faudrait son vrai nom..." songea à voix haute Armand. "Ou bien, les vampires ont un bon odorat, non ? On a qu'à trouver quelque chose qui lui appartient et tu pourrais le flairer."

Armand terminait son hamburger tout en disant cela avec la délicatesse d'un éléphant bourré traversant en bicyclette un magasin de porcelaine fine de Chine.

"Ou alors j'achète un chien mais Amaretto ne va pas aimer," poursuivit-il sur sa lancée, comme si de rien n'était.

Amaël ne regarda pas autour de lui pour savoir si le cours normal du In avait repris. Au moment où Armand avait rengainé son flingue, le bruit des mastications avait repris. Comme dans un film de western, exactement. Deux africionados (les fans de western vont me tuer pour ma mauvaise orthographe) qui se jaugent des yeux, à 100 pas l'un de l'autre (là en l'occurence, à un orteil et demi), la main prête à dégainer. Et la ruelle de la petite ville se mue dans un silence où les habitants, dans une fascination horrifiée, regardent la scène de chaque côté de la rue, et que les femmes, comme dans chaque film de cowboy qui se respecte, ferment les volets dans un claquement terrifié pendant qu'un bébé braille.
Et quand l'un des deux cow-boy prend un bain de soleil dans le sable, la vie reprend son court.
On pouvait transposer la même séquence dans un saloon.

C'est quand même fou comme les humains peuvent réagir comme des piafs effrayés dans la jingle, quand même. Deux fauves, un bang, plus de son. Et l'aventurier (ou le rôdeur) ayant toujours une oreille dressée, se fige, lève son fusil (ou son arc) et constate, alerté et d'un ton lugubre où transpire la méfiance : "les oiseaux n'chantent plus, ça sent l'sapin."

J'ai lu trop longtemps Pratchett.

Bref, à l'écoute de la salle, donc, Amaël n'eut pas besoin de bouger les yeux ou la tête pour savoir que les piafs bipèdes dépourvus d'ailes avaient repris leur activité initiale dans un frileux brouahah.
Enfin, peut-être pas assez fort pour que la remarque d'Armand sur l'odorat des vampires et du truc à faire renifler à Amaël ne passe inaperçue ? Certains levèrent la tête, interpellés. Amaël ne broncha même pas. Ni aux têtes interpellées qui se levaient, ni à l'insulte à peine déguisée d'Armand.

Au contraire, le chevalier aux cheveux bleus esquissa un simili sourire en coin sur ses lèvres fines. "Je pourrai faire mieux qu'un chien," répondit-il même. Puis il réfléchit en regardant autour de lui, cette fois, comme tout à l'heure.
Enfin, le truc qui commençait à sérieusement inquiéter Amaël, c'était que le jeune homme continuait à dire "on". Il songea qu'il pouvait aller interroger les employés du Vamped. Plus ou moins en douceur selon le degré de résistance.
Enfin, à ce stade, il se rendait compte qu'il était totalement impossible (à moins d'enchaîner Armand, ce qui était une solution qu'il répugnait à appliquer) de laisser le jeune borné de côté. Pour son bien ou non. Aussi énonça t-il son idée à voix haute, juste assez pour qu'Armand l'entende. "Interroger un membre du personnel, spécialement celui qui est un vampire... Ou alors mademoiselle Wang Ying."

Mais pour elle, tout en douceur l'interrogatoire, songea le vampire, noblement.

N'empêche qu'Amaël était sûr que Locutus ne se cacherait pas le moins du monde. Bien qu'il était convenu que la tête de Locutus devait s'obtenir sans déclencher une guerre de rues à Neo-L.A pour cause de protocole politique, il avait quand même la furieuse envie de foncer au Vamped pour décoller toutes les têtes vampiriques qui passeraient, dont celle de l'enflure en question qui lui avait rappelé ses origines. Aussi un petit tic chez lui, lorsqu'il est envahi d'une rage quasi berseker, est de poser la main gauche à plat sur la table et de regarder ailleurs fixement.

Armand, redevenu sage comme une image, essuyait ses mains dans la serviette en papier tout en écoutant les quelques paroles que laissa échapper le taciturne Amaël. Oh, il n'avait bien entendu pas oublier sa précédente question - qui avait failli causer un incident diplomatique mais il ne fallait pas lui demander d'être d'une patience infinie avec un collègue vampire quand il "mordait" déjà ses autres collègues -, il avait juste remis l'interrogatoire à plus tard.

"Wang Ying," répéta-t-il pensivement. "J'ai déjà entendu son nom quelque part."

Oui, les fois où il passait au commissariat, de rares fois, il faut le préciser, plusieurs personnes avaient mentionné son nom et ce n'était pas forcément d'une façon toujours élogieuse pour l'interessée.

"C'est une grosse huile des Triades, non ?" questionna-t-il, un doigt sur le menton. "Huuum... Si elle sait des choses sur Locutus, tu as bien conscience que tu ne parviendras pas à la faire parler sans la torturer ? Les hommes de la Triade sont déjà coriaces, mais une femme alors... Elle a sûrement du travailler deux fois plus qu'un mec pour être là où elle est."

Ce n'était certainement pas ce qu'espérait entendre Amaël de la part d'Armand mais celui-ci ne s'en rendait pas spécialement compte... Ou du moins s'en foutait totalement.

"Enfin, je ne suis pas misogyne, je traite les femmes de la même manière que les hommes. Je suis pour l'égalité des sexes, la parité, tout ça..."

Ce qui n'était pas spécialement rassurant.

(pardon Wang Ying XD)

Amaël hocha doucement la tête aux paroles d'Armand. Quand le jeune homme fit remarquer qu'il n'était pas mysogine, l'Ecossais hésita sur l'interprétation, sans se départir de son visage de marbre.
Est-ce que Armand voulait dire seulement qu'il respectait les femmes ? - Ce qu'une grande partie du géant espérait arriver en conclusion - ou était-ce pour dire que de fait, Wang Ying pouvait très bien être torturée comme un homme ?
Amaël cligna une fois des yeux.
Mais il les garda rivés sur son jeune interlocuteur comme s'il voulait arriver à lire sur son visage s'il était sérieux ou non.
Finalement, semblant mettre la question de côté, le vampire hocha brièvement la tête. "Mais ça ne sera pas nécessaire d'en arriver là," dit-il, sans quitter l'albinos des yeux jusqu'au point de sa phrase où là il regarda le soleil.
Il préférait passer par la discussion, songeant que de toute façon il avait été surpris par Wang. Elle réfléchira à deux fois les réponses à leurs questions.

"Ouais, on espére toujours ça," marmonna Armand aux paroles d'Amaël.

Ayant terminé son repas (ou son second petit déjeuner, au choix) et voyant que le vampire n'avait pas envie de manger, le chasseur se leva pour quitter la table et se dirigea vers le comptoir de l'établissement pour payer. Alors qu'il insérait sa carte de crédit dans la machine, il songea qu'Amaël était vraiment trop... Gentil. Oui, gentil. Et un peu con comme tous les gens gentils. Et suicidaire aussi, car il ne semblait pas se soucier plus que cela que quelqu'un découvre son identité.

Armand secoua la tête, il n'y avait rien de plus dangereux que de travailler avec quelqu'un de gentil, con et suicidaire. Mais il ne pouvait pas ignorer non plus le problème que posait ce Locutus. On savait depuis longtemps que Chinatown abritait une population de vampires mais la Triade ne s'était guère montrée très coopérative lorsqu'ils avaient tenté d'en réduire le nombre. Chasser sur son territoire pouvait causer un incident diplomatique si quelqu'un les voyait mais Locutus révélerait tout s'ils ne le tuaient pas au plus vite. Et c'était bien plus grave que de froisser la Triade. La mairie de Los Angeles serait directement éclaboussée, ainsi que les chasseurs. Que penserait donc l'opinion publique de tout cela ? Elle les laminerait, c'était certain, et il ne préférait pas imaginer ce qui se passerait si les organisations mafieuses de la ville, ou pire, les rédempteurs, cherchaient à en profiter.

"Amaël, bouge ton cul, on y va," grogna-t-il en se dirigeant vers la sortie du restaurant, les mains dans les poches de son manteau. Toujours aussi aimable ce petit.

Le vampire s'autorisa un sourire en suivant Armand. C'était bien pour lui de se faire insulter par le môme, ça lui permettait de garder un certain contact avec les humains. Insulté ou pas. Ces dernières années, Amaël avait vécu en ermite, en évitant le plus possible les contacts humains. Pour diverses raisons, mais la première était de ne pas prendre de risque en mordant quelqu'un. Les autres raisons étaient sur un plan plus émotif.
Lorsqu'ils quittèrent le In-Out, Amaël ressortit sa pipe, sortit une blague de tabac, en saisit une pincée qu'il bourra avec le pouce dans le foyer, alluma avec son vieux briquet, et tira une bouffée, l'autre main dans les poches.
Après un oeil indigo vers le ciel, l'Ecossais calqua son pas sur celui du jeune homme, sinon il allait encore le doubler, le distancer et ça allait énerver le petit. Pas que ça l'embête tant que ça, mais bon.

On avait un seul problème, si on allait rendre une visite à Wang, ce problème c'était son adresse. "Je me demande si l'on a une chance de trouver son adresse sur sa fiche d'état civil, si elle en possède une et si ce serait la vraie adresse - murmura t-il en faisant des ronds de fumée - en tant que diplomate, peut-être qu'un journaliste ou un membre de la mairie connaît son numéro de... - Amaël et la technologie fit un petit effort pour se souvenir du nom exact - portable ?"

D'accord, on avait le droit de penser qu'avoir la jeune femme au téléphone n'apporterait pas grand chose. (Surtout si c'est pour lui dire "hello, on peut v'nir vous interroger ?) Alors Amaël (qui a quand même l'esprit d'un fourbe manipulateur quand il veut) songea à une petite tricherie. Une toute petite, avec Kirk, Kirk connaissait le maire, le maire pouvait entrer en contact avec Wang pour la faire venir sous un faux prétexte, comme ça ils pourraient l'interroger dans le bureau du maire.
Et d'après ce qu'Amaël savait du maire de Neo-L.A d'après les multiples discours de la soeur de Kirk que lui avait rapporté son chasseur de frère, Will saurait très bien se débrouiller avec Wang pour parvenir à obtenir des infos, voire un accord.

"Hmmm," fit-il en accélérant soudain le pas vers Skid Row pour mettre la main sur Kirk ou Spock ou les deux. Ses grandes enjambées avaient l'air de dire que, dans son plan et tellement habitué à bosser tout seul, il en avait oublié Armand.


>Skid Row<